Par Lamouche Ducoche.
“La guerre c’est toujours une erreur”, c’est ainsi que Djamel, guide touristique tunisien à la retraite, introduit son propos sur la guerre d’Ukraine. “Elle ne profite qu’aux riches, ceux qui se battent ne savent même pas contre qui ils se battent et souvent même pas pourquoi” poursuit-il avec amertume. “On ne peut pas faire confiance aux médias, ils mentent tous”. Djamel essaie de ne pas trop y penser, son impuissance et les mensonges perpétuels le désespèrent. Côté touristes, les Russes viennent moins voire plus, mais on ne les regrette visiblement pas beaucoup, une réputation tenace de poivrots sans gêne leur colle à la peau. Même discours mesuré pour Anis, serveur de l’hôtel où je séjourne pour une semaine à Djerba. “C’est la faute de tout le monde”. Un peu gêné de son culot, prévenant que ce n’est que son avis, il se demande si cette guerre n’est pas un peu “faite exprès, pour casser le nez de la Russie qui devient trop puissante” et menace les USA, qui n’ont jamais accepté de partager les richesses du monde. Et oblige finalement la Chine et même l’Afrique à s’allier à la Russie. Car oui, rappelle-t-il, l’occident a fait plus de mal à l’Afrique que de bien. Pour Maher, le très serviable réceptionniste, il sera très important de dire d’abord et avant tout, avec insistance, qu’en Tunisie on aime la paix, partout, que ce soit en Ukraine ou en Palestine. Cette guerre est une affaire de diplomatie et doit au plus vite se régler autour d’une table. A cette table des négociations mais aussi celle des débats médiatiques, les russes devront être invités, impérativement, car “comment connaître la vérité et négocier si l’une des partie quand bien même désignée comme ennemie n’est pas présente”? Plus partisan, ce tunisien de 50 ans considère que ce conflit, c’est la réaction des USA face à la menace que représente désormais une Russie qui a rechargé ses batteries et avec laquelle il faut maintenant compter sur la scène internationale. En attendant, c’est “l’Ukraine qui souffre”, mais “la Russie protège ses frontières”, sur ces zones où les USA installent leurs bases militaires, “c’est normal”. “Cette guerre est une comédie”, mais ”l’Occident ne parle que d’arrêter Poutine, et non d’arrêter cette guerre”, ce qui serait pourtant le seul objectif à poursuivre.
Les employés d’une compagnie aérienne tunisienne croisés pendant leur séminaire d’intégration – du bagagiste au régulateur de vol – auront peu “d’avis” et peu de temps à m’accorder. Pour résumer, on retiendra que la guerre ce n’est pas bien, qu’ils sont contre. L’avis de ce groupe au statut social élevé pour le pays – salarié – est plus tranché et binaire sur la question : les Russes ont envahi l’Ukraine, ils portent la responsabilité de cette guerre. Côté femmes, ma mission de recueillir leurs réflexions est un échec. Celles que j’arrive à aborder – des agents d’escale – assument très bien, presque fièrement, de n’avoir “vraiment aucune idée sur la question”, et couperont court à toute conversation en m’assurant que la politique, ce n’est pas pour elles. Pourtant ces jeunes femmes sont émancipées et privilégiées, le gap culturel avec la France ici est grand. Mais mon panel est trop limité pour en tirer des conclusions générales. En revanche, pas d’inquiétude outre mesure d’une évolution vers un conflit majeur ou mondial qui pourrait les toucher concrètement sur leur territoire. Cette guerre n’est pas la leur, elle se déroule si loin, et oppose des camps qui vus d’ici sont ceux de nantis, des pays où beaucoup de tunisiens rêvent d’aller pour de meilleurs lendemains.
Quant à l’impact de cette guerre sur le pays, difficile de faire la part des choses, avec une économie aux abois, depuis le printemps arabe en 2011, puis le COVID, un dinar qui s’est effondré, un pouvoir d’achat dramatiquement bas (le salaire minimum officiel est de 140 euros). L’Ukraine était jusque-là le principal importateur de céréales en Tunisie, et fournissait près de 50% des importations de blé. Cette ressource à la base de tant d’autres, devenue plus rare et donc plus chère a renforcé une inflation déjà galopante. Même le coût de l’énergie a augmenté malgré une production locale offrant une quasi autonomie pétrolière au pays, et un voisin lybien où l’or noir coule à flots.
3600 kilomètres et une mer séparent Tunis de Kiev, cette méditerranée qu’on tente régulièrement de traverser en barque au péril de sa vie, laissant la guerre en Ukraine à un rang très secondaire des préoccupations premières, voire politiques. La Presse, quotidien tunisien en langue française, n’ouvre ses colonnes à la question qu’en 4ème page, avec un article très généraliste mollement à charge contre la Russie relatant la commémoration de la première année du conflit.
Si ma prise de température de l’opinion tunisienne sur la guerre en Ukraine ne saurait en aucun cas représenter fidèlement ou statistiquement la position du peuple tunisien, elle laisse transparaître une distance, une clairvoyance et une mesure bien plus grande que celle généralement constatée en France. La paix en tant que valeur première aura été invoquée par tous mes interlocuteurs, cette quête première qu’en France on semble avoir oubliée. Les plus anciens seront très fiers de rappeler que l’île de Djerba est un symbole de cohabitation réussie entre musulmans et juifs depuis toujours. Au milieu de l’île, la plus vieille synagogue d’Afrique, El Ghriba attire encore tous les ans le plus grand pèlerinage juif de l’Afrique du Nord.
Néanmoins, une relative indifférence est palpable. Ce conflit opposant les riches du monde est si lointain, presque abstrait. Ce peuple de 11 millions d’habitants dont 15% vit sous le seuil de pauvreté – 2 euros par jour, les cigarettes les moins chères y sont à 1 euro, la bouteille d’eau à 20 cts, la baguette à 15 cts – a pour priorité de manger à sa faim et d’affronter le jour suivant. L’absence d’aides sociales, le chômage systémique obligent nombre d’entre eux à une bataille âpre du quotidien pour assurer leur survie. Halim, jeune chamelier sur la plage, espère quant à lui qu’il n’y a plus de guerre en Ukraine, il en a visiblement entendu parler. S’informer et s’intéresser à nos soucis de guerre d’empire ou s’en émouvoir, il n’en a ni le luxe ni le temps.

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