La Bulgarie face à son héritage soviétique : la tentation du révisionnisme

Partager les informations

Par Lamouche Ducoche.

Haut de 37 mètres, l’un des monuments les plus emblématiques de Sofia, dit de l’armée soviétique compte peut-être ses derniers jours. Situé au cœur des anciens jardins du palais royal au centre de la capitale bulgare, il est l’un des repères les plus familiers des habitants. Le 9 mars 2023, Le conseil municipal sofiote votait avec une très large majorité la décision d’une requête officielle auprès de l’État, son propriétaire, en vue de sa suppression – destruction ou déplacement. 


Monument de l’armée soviétique, Sofia

Construite en 1954, soit dix ans après l’instauration du régime communiste en Bulgarie, cette œuvre colossale, archétype de l’art sculptural soviétique fait de blocs de béton et de granit, aux personnages anguleux et massifs si caractéristiques de l’époque communiste, rend hommage à l’armée rouge. Une plaque dont la légitimité fait aussi débat dédie le mémorial “A l’armée soviétique libératrice par le peuple bulgare reconnaissant”. Si à l’ouest de l’Europe, la reconnaissance majeure de la deuxième guerre mondiale va le plus souvent aux américains – c’est bien le débarquement du 6 juin 1944 qui est fêté chez nous – le bloc soviétique dont la Bulgarie a fait partie pendant 55 ans jusqu’en 1990, a bien entendu davantage mis en avant le rôle de l’armée rouge pour battre l’Allemagne et le fléau nazi. Côté chiffres, il n’y a pas de débat, le camp soviétique compte le plus lourd bilan de la 2ème guerre mondiale avec 27 millions de morts dont 12 millions de soldats contre 300 000 pour l’armée américaine.

Les partisans de la disparition de ce symbole devenu gênant, y voient désormais la glorification condamnable donc d’une armée qui a battu la Bulgarie monarchiste de 1944, alors membre de l’axe, pour certes la libérer de l’emprise allemande mais surtout y imposer le régime communiste.

A vrai dire, le difficile destin de ce mémorial fut déjà discuté et même tranché en 1993, lorsque le parti de droite au pouvoir après la chute du communisme avait décidé de faire place nette de tous les stigmates soviétiques du pays. Une faible adhésion du peuple au projet de destruction conduisit à son abandon.

Un sondage de btvnovinite.bg sur le sujet, ne montre pas réellement de plus grand enthousiasme populaire aujourd’hui, et compte 70% du panel contre sa disparition. Mais la guerre en Ukraine a attisé la russophobie parmi les européïstes au pouvoir, et permis de considérer que ce monument affiche un soutien voire une allégeance à la Russie, dont il n’est pas ou plus question. La Bulgarie, côté gouvernement du moins marche au pas cadencé de l’Europe sur le sujet : “les Russes ont envahi une Ukraine souveraine en contrevenant au droit international”, malgré une opinion populaire beaucoup plus mesurée que chez nous sur le sujet, car restant malgré tout proche culturellement et historiquement avec la Russie, et âme slave oblige.

De leur côté, les partis de gauche et les nationalistes dénoncent un révisionnisme indigne et appellent au devoir de mémoire dûe à la Russie, via le maintien et la restauration de la construction qui tombe en morceaux faute d’entretien depuis des années. Et rappellent, cynique paradoxe de la grande Histoire, que nombre d’Ukrainiens faisaient partie de cette armée soviétique. Sur le plan stratégique, l’opposition évoque un acte opportuniste électoraliste des partis favoris en vue des scrutins législatifs et municipaux à venir, et sorte d’artefact cache misère pour faire oublier l’inefficacité du pouvoir en place à gérer la crise économique majeure du pays, l’inflation officielle y atteignant les 20%.

Fortement abîmé par la négligence des services du patrimoine, par les dégradations dont il fait régulièrement l’objet et qui l’ont rendu “dangereusement” fragile, l’édifice a besoin d’un verdict urgent quant à son devenir. Le 22 février dernier, un homme de 61 ans en brisait la plaque commémorative, et se rendait volontairement à la police, en assumant fièrement avoir voulu ainsi “salir” les bellicistes qui faisaient du mal à l’Ukraine. 


Détérioration de 22 février de la plaque commémorative

Pour supprimer le mémorial devenu gênant, encore faudra-t-il composer avec la protection juridique dont bénéficient tous les monuments culturels et commémoratifs, notamment ceux érigés en mémoire de la 2ème guerre mondiale, que ce soit à l’ONU ou dans l’arsenal des directives unionistes. Le révisionnisme de l’histoire et des symboles que sa destruction suppose, devra être transposé au niveau européen et international. On ne peut malheureusement que craindre que l’heure choisie soit la plus propice.


“Gloire à l’Ukraine”

Kozhin : Le 5 juillet, Sergey Lavrov et l’ambassadeur bulgare en Russie Atanas Krastin inaugureront une exposition au Musée des Beaux-Arts marquant 140 ans de relations diplomatiques entre la Russie et la Bulgarie. Des documents et des illustrations provenant des archives de la politique étrangère russe seront exposés.

7 juin 2019 Russie organisation gouvernementale


Merci de nous encourager en partageant l’information.
Suivez : https://t.me/francemediasnumerique

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *